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Kapo: Dachau expliqué

KAPO, UNE BD SUR FOND HISTORIQUE: Le point de vue de l'auteure sur sa démarche artistique et historique.


Détail d'une planche: rendez-vous à la place d'appel à 4 heures du matin.


Quand j'ai terminé le Lever des mille Soleils en 2009, j'ai eu un instant de panique devant le "vide" qui s'annonçait: quel serait le prochain sujet de ma bande-dessinée? Quand j'achevais les dernières cases de ma BD, je lisais différents livres pris à la bibliothèque. L'un d'eux, Les médecins maudits, de Christian Bernadac m'a captivé. Il parlait de la vie quotidienne des camps de concentration, en particuliers des scientifiques fous qui se livraient à toute de sorte d'expériences pseudo-médicales sur les détenus. Les témoignages faisaient dresser les cheveux sur la tête. Ce que j'ai retenu surtout c'était les différents comportements des gens (autant chez les prisonniers que chez les bourreaux), révélateurs de moralité et d'éthique. En fermant le livre, je me suis dit que je détenais là un formidable sujet sur l'exploration de l'âme humaine dans un milieu où tout était permis. Le Kapo des camps semblait pour moi être l'intermédiaire parfait entre le mal absolu de l'idéologie nazie et l'innocence perdue des détenus...


À l'ouverture du camp en 1933, les détenus pouvaient encore porter leurs habits civils ou adopter des uniformes blanchâtres sans signes distinctifs. C'est à partir de 1936 que le pyjama rayé fait son apparition.


Mon plus grand défi -et ma première difficulté- fut la représentation graphique de l'histoire. Les couleurs froides utilisées dans Kapo donne le ton à un univers triste et effroyable, à un lieu de mort-vivants. Les teintes grises et bleuâtres renvoient aussi à l'uniforme des détenus et donne au lecteur l'impression de regarder un vieil album de photos. Pour reproduire ce type d'atmosphère, je me suis grandement inspiré de La Guerre des Sambre d'Yslaire qui utilisait le rouge et le gris pour donner à sa saga une dimension épique. Parfois, j'utilise le fusain pour donner l'impression de saleté et d'ombres grandissantes.

Exit tout matériel fantastique ou de lieux imaginaires comme ce fut le cas avec les 1000 soleils, cette fois, le contexte et le lieu est d'ordre historique et je n'ai pas vraiment droit à l'erreur. Heureusement, il existe sur internet tout une banque d'images et de photos de cette période! Mais il arrive parfois que même les photos prises à l'époque, quand elles ne sont pas flous, ne répondent pas toujours à mes questions. Certains lieux au Kl-Dachau n'ont jamais été photographiés et ont été détruits par le temps...C'est ce que j'ai constaté en me rendant moi-même sur le site lors de mon voyage à Munich en 2010 (voir blog). Je dois donc me rabattre sur les témoignages et les dessins faits par des prisonniers ou faire quelquefois des comparaisons avec d'autres camps de concentration. Chaque camp était similaire en eux-même, mais ils avaient aussi leurs particuliarités.


Les brassards portés par certains détenus à Auschwitz, dont les Kapos. Dessin de Thomas Geve, jeune détenu de 13 ans d'après le livre Il n'y a pas d'enfants ici

Mon deuxième défi fut de respecter le contexte historique du camp et la psychologie des prisonniers. Pour l'histoire du camp, je me réfère à différents sites web consacrés sur le sujet, dont http://www.ushmm.org/ et à mon indispensable catalogue de l'exposition The Dachau Concentration Camp, 1933 to 1945 qui racontent la vie quotidienne des prisonniers, les hauts faits du camp année après année avec photos rares à l'appui.

La distribution de la soupe dans un kommando extérieur.


Même si les personnages de ma BD sont fictifs, ils doivent également réfléter la psychologie des gens de l'époque. Je ne fais donc pas toujours à l'avance mon scénario car je me documente en même temps. Il faut dire que les témoignages offrent un bon aperçu des mentalités de l'époque et quelquefois, ils peuvent se contredire. Tout dépend du sens de l'observation du témoin, de son caractère et du vécu de sa situation, mais je dois toujours garder un équilibre entre ce qui était possible ou pas. Exit donc les rébellions formentées à l'intérieur du système concentrationnaire (rarement arrivé), d'évasion massive (dans les films) et de fortes solidarités entre prisonniers contre les grands méchants nazis (contradictoire)!

C'est en consultant le livre Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie du Dr. Viktor E. Frankl qui raconte son passage obligé à Auschwitz, que j'ai pu connaître des aspects méconnus des comportements des prisonniers. Même maltraités à l'extrême, les détenus gardaient leur sens de l'humour (noir!) et développaient une vie spirituelle très riche...

Enfin, il y a la question de la sexualité dans les camps que je vais aborder dans mon histoire (ne vous inquiétez pas, il n'y aura pas de scène de sexe gratuite!). Les témoignages qui en font mention sont très rares, parce que tabou. Si la plupart des prisonniers étaient obsédés par la faim, ceux qui avaient des privilèges comme les kapos avaient la libido intacte! Dans la loi de la jungle, tout était bon pour avoir un peu de nourriture (et du réconfort).

Le bordel dessiné sur un ton humoristique par Thomas Geve. La plupart des détenues venaient du camp de Ravenbruck et n'étaient pas des prostituées professionnelles. Après 6 mois de "travail", elles étaient exterminées à Auschwitz...


Ce sont les récits d'homosexuels enfermés dans les camps qui lèvent un voile sur cet aspect longtemps négligé. Les biographies de Pierre Seel, Heinz Heger et plus récemment, Rudolf Bradza, démontrent que le sexe entre détenus hétérosexuels ou pas n'était pas rare, mais discret. En effet, les gardes nazis ne toléraient aucune attitude sexuelle ouverte et punissaient de mort toute personne pris en flagrant délit! Les archives des camps rapportent également des cas de viol, surtout lors d'un rapport hiérarchique opposant un subbordonné et son supérieur. Le même phénomène était aussi observé dans le camps des femmes. Bien qu'un bordel existait à l'intérieur du camp pour les SS, la plupart des prisonniers n'y avaient pas accès (sauf les kapos) et le boycottaient parce que les prostituées étaient elle-même des détenues...


LE CAMP DE DACHAU A TRAVERS LA PERSPECTIVE DE TROIS CATEGORIES DE DETENUS:
Le déroulement de mon récit se déroule au camp de Dachau à travers les yeux de trois prisonniers distinctifs: un kapo, un témoin de Jehovah et un homosexuel. Pendant longtemps, les historiens ont occulté ces types de prisonniers pour une vision plus dichotonomique de l'holocauste: les "bons" triangle rouge (prisonniers politiques et étrangers) étaient les victimes de la barbarie nazie, symbolisé ici par les "méchants" triangles verts (prisonniers criminels allemands); la dimension religieuse de l'événement ne concernait que les Juifs alors que d'autres groupes religieux furent également persécutés. Enfin, il a fallu attendre les années 90, voire les années 2000 pour qu'on s'intéresse de plus près au sort des gitans et des homosexuels qui survécurent dans les camps.
Un demi-siècle plus tard et une nouvelle génération d'historiens ose aborder des questionnements évitées par leurs prédécesseurs et offre maintenant une vision plus biaisée et méconnue de la Deuxième Guerre mondiale. Les derniers livres parus, les documentaires et les films vont également dans ce sens...

LES KAPOS: Chargés par l'administration SS pour surveiller et réglementer la vie des autres détenus, les kapos (ou capos) furent au tout début de l'ouverture du camp de Dachau des criminels de droit commun. On les identifiait par un triangle vert. Dans certains camps, le crime des droits communs pouvait être identifié grâce à la position du triangle: inversée pour les crimes graves tels que le meurtre ou à l'endroit tels que le vol... À mesure que la guerre évolue et que les prisonniers politiques (triangle rouge) envahissent les camps (1941-1942), une "guerre" intestine se déclare entre détenus étrangers et de droits communs pour le monopole de la position enviable des kapos. Les triangles verts perdent peu à peu leur place au profit des triangles rouges qui adoucissent (légèrement) le sort de leurs camarades d'infortune. En général la plupart des kapos, poussés par les SS, étaient cruels et se permettaient n'importe quelle folie pour contenter leur "Power trip". Les témoins citent toutefois des kapos au comportement exemplaire qui avaient à coeur les intérêt des prisonniers, notamment Adolf Maislinger à Dachau qui cachait et protégeait des prisonniers des SS. Les archives ne rapportent pas officiellement  des kapos des autres catégories de triangles, sauf Heinz Heger qui fut exceptionnellement un kapo triangle rose. L'origine du mot Kapo est sujet à débats. Le terme est employé par la mafia qui désigne des intermédiaires qui font la sale besogne. Certains croient qu'il s'agit de l'acronyme Kamaradenpolizei ou Kampfpolizei. Chez les femmes, la Kapo s'appelaient Aufseherin, Offizierin, Blockowa (cheffe de block) ou Stupowa.


Kapos au garde-à-vous durant l'appel. Dessin de Thomas Geve.

(à suivre!)